Génie génétique: procédés biotechnologiques, enjeux thérapeutiques, économiques et éthiques
A l’aube du troisième millénaire, le rôle et les actions des scientifiques font de plus en plus l’objet d’interrogations, sinon de procès. Alors que les découvertes se succèdent à un rythme soutenu, on s’interroge sur les conséquences heureuses ou malheureuses de tels bouleversements. Plus que toute autre science, le génie génétique semble être de nos jours l’Eldorado de l’ère technologique, la terre promise ruisselante de lait et de miel qui résoudra les problèmes de santé et d’alimentation de toute l’humanité[1]. En effet, dans ces dernières années, l’ingénierie génétique a connu un essor phénoménal en biologie moléculaire. En conséquence, cette science, qui est l’application directe de la génétique et de la biologie moléculaire, a induit une révolution de type « copernicien » au niveau de la biotechnologie : industries agroalimentaires, pharmacologie et médecine. Comme nous le constatons, la biotechnologie est en train de bouleverser l’ordre économique mondial par ses produits de synthèse qui sont très faciles à élaborer en grandes quantités, en utilisant les microorganismes, les plantes ou les animaux supérieurs. Les enjeux de l’ingénierie génétique sont énormes : face au problème de la faim dans le monde, ne sommes-nous pas tentés de transformer nos brebis en vaches laitières produisant soixante litres de lait par jour, nos bœufs en éléphants à la viande tendre et nos tiges de mil en énormes arbustes produisant des tonnes et des tonnes de céréales tous les six mois pour résoudre définitivement le problème de la malnutrition dans nos pays ?
Le dilemme est cependant suspendu à nos yeux comme l’épée de Damoclès à nos flancs. Quelles seront les conséquences de la consommation directe ou de l’utilisation de ces organismes génétiquement modifiés (OGM) dans dix, vingt ou quarante ans pour l’humanité ? Les citoyens, citadins ou ruraux, riches ou pauvres, les journalistes, les hommes religieux ou les hommes politiques sont donc naturellement conduits à réfléchir sur ces sujets et à les discuter selon des considérations éthiques, c’est-à-dire des démarches fondées sur le débat démocratique et l’adoption d’un certain nombre de « règles du jeu », telles que la Déclaration universelle des droits de l’homme, les constitutions et les lois des différents pays, ou encore les codes déontologiques qui régissent certaines professions, telles celle de la santé, de la science ou des médias.
Depuis la découverte de l’ADN (Acide désoxyribonucléique) recombinant, l’homme a entre ses mains une force extraordinaire, une épée à double tranchant. Désormais, le généticien peut « créer » de nouveaux génotypes, diagnostiquer et soigner des maladies héréditaires, élaborer des vaccins, des enzymes, des hormones, des anticorps monoclonaux, tout comme il peut fabriquer la bombe bactériologique pour détruire et changer la face de la terre.
Bref, l’avenir de l’humanité semble être entre les mains de ces hommes de science. Un fait est certain, en ce début du XXI° siècle, « notre Culture devenue moins théorique se fait de plus en plus pragmatique, et la visée des espérances humaines d’aujourd’hui passe plus que jamais par la science et ses retombées pratiques dont les conséquences vont jusqu’à mettre en cause la base même de notre civilisation »[2].
On pourrait, dit le Cardinal Poupard, identifier le premier défi du génie génétique dans le rythme vertigineux de son progrès. Comment s’étonner de voir les scientifiques eux-mêmes pris de vertige lorsqu’ils se sentent, avec raison, auteurs et protagonistes de cet incroyable développement ? La chimérisation, le clonage, l’utilisation des cellules E.S (Embrionic Stem), le récent décodage du génome humain, et cette génothérapie en sont des exemples frappants. Le danger le plus immédiat qui menace les chercheurs, est de se croire tout permis dans cette course accélérée qui va de conquêtes en conquêtes. Certains en sont convaincus. Ils ne peuvent ni ne doivent avoir de limites dans leur activité, le progrès lui-même justifiant tout. La langue anglaise utilise deux concepts pour dire « nous pouvons » : we can, we may, alors que les langues dérivées du latin ne disposent que du verbe pouvoir pour prétendre, à nos propres dépens, que nous pouvons faire moralement tout ce que nous pouvons effectivement réaliser. Dans cette optique, ayant écarté la critique motivée par une évaluation bioéthique, « la mentalité scientiste a réussi à faire accepter par beaucoup l’idée que, ce qui est techniquement réalisable devient automatiquement acceptable »[3].
Désormais, nous en sommes conscients : science sans conscience est ruine pour l’humanité. La tragique actualité nous rappelle sans fin Hiroshima, Nagasaki, Auschwitz, Tchernobyl et le spectre du clonage de l’homme.
C’est à ce niveau que se posent de nombreuses questions d’ordre épistémologique, philosophique, éthique et social. Jusqu’où et à quel prix, le généticien moléculaire dans son laboratoire peut-il librement manipuler la vie des organismes en changeant leur ontologie et leur destinée ? En d’autres termes, l’homme a-t-il le droit de se changer et de changer la nature ? Dans le cas où le chercheur peut licitement corriger les erreurs génétiques des organismes vivants à travers le génie génétique, jusqu’où et de quelle manière peut-il pratiquer la génothérapie ?
Soyons assurés que » le physicien Otto Hahn, le découvreur de la fission nucléaire, ne pouvait certes pas prévoir tous les effets et les conséquences dévastatrices de la bombe de Hiroshima[4]« . Toutes les erreurs ne pardonnent pas. Une bavure de manipulation génétique ne pourrait-elle pas nous engendrer des monstres, des êtres humains chimériques ? Ce type d’erreur ne coûterait-elle pas à l’humanité du point de vue biologique, anthropologique, psychologique et social ? Mais faut-il aussi se résigner et se laisser envahir par ces peurs sans trop chercher à discerner ce qui est éthiquement faisable de ce qui est hasardeux et donc tendancieux ?
Ce présent travail a pour objectif de présenter :
- Le génie génétique avec ses procédés et ses perspectives ;
- La biotechnologie : impact et enjeux thérapeutiques et économiques ;
- L’éthique de la recherche : « Homo sapiens[5] quo vadis » ?
[1]Russo G., La bioetica e le tecnologie della vita umana nascente, ed. Elledici, Torino 1994, pp.64-69
[2] Poupard P. Discours aux hommes de la science et de la recherche. Manuscrit non publié ; Vatican 23 Mai 2000.
[3] Cardinal P. Poupard, Discours aux scientifiques du monde entiers réunis à Rome, 23 mai 2000.
[4] Serra A., Nuova genetica, uomo e società, Vita e Pensiero, Milano 1986, pp.100- 114
5 Homo sapiens, où vas-tu ?